Moana en tahitien : rencontre avec l'équipe


PAPEETE, le 18/04/2017 - À quelques jours de la projection publique du dessin animé, en tahitien, place To'atā, le 29 avril, l'équipe qui a travaillé sur l'adaptation tahitienne a tenu une conférence de presse hier matin, dans les jardins de la Maison de la culture. L'objectif était de partager le travail de titan qui a été réalisé pour l'aboutissement final de ce chef-d'œuvre de Walt Disney. Pour la présidente de Te Pu Atiti'a, il y a eu tout un travail de recherche sur plusieurs thématiques sur une période restreinte.

On vous en parle depuis plusieurs semaines déjà, la projection de Moana, la version tahitienne du chef-d'œuvre de Walt Disney, se fera le samedi 29 avril à 19h30 à To'atā. Un moment que tout le monde attend impatiemment.

Et pour arriver à un tel résultat, un gros travail de recherches et d'enregistrements a été réalisé sur une période restreinte, "un peu plus d'un mois", aussi bien pour l'adaptation en tahitien que pour les enregistrements.

Cette version tahitienne, nous la devons à l'association Te Pu Atiti'a, présidée par Hinano Murphy. Pour elle, il était important de réaliser cela afin de sauvegarder notre langue, notre culture. Et le travail n'a pas été de tout repos, surtout que l'équipe était soumise à un contrat de confidentialité avec Disney, ce qui "a un peu restreint mon champ d'action", souligne-t-elle, en parlant des castings. "Le film en version originale sortait en même temps que nous, nous passions à la traduction. Donc, le contrat de confidentialité était très important là parce que nous ne pouvions pas dire aux gens de venir pour faire un casting." Il a fallu faire également en fonction de l'emploi du temps de chacun, mais ce n'est pas tout. "Il fallait voir aussi la disponibilité du studio qui nous a été mis à disposition par la ministre de l'Éducation", explique la président de Te Pu Atiti'a.

Pour composer son équipe traductrice, Hinano Murphy a fait appel à "ses amis" professeurs, journalistes ou encore académiciens. Ils étaient sept à avoir tenté l'aventure en essayant de se rapprocher au mieux de la version originale. Et, en tahitien, la tâche n'a pas été facile puisque certains mots ne se traduisent pas. "Nous avons trouvé des équivalents. Un mot par exemple ou une expression en anglais, ça va se traduire par plusieurs expressions en tahitien. C'est le cas par exemple de "you're welcome", donc cela se traduit par des gestes. C'est tout un rituel, tu me donnes et je sais que je vais te remercier, donc je vais t'en donner encore plus… mais il n'y a pas de mot pour ça", explique Mirose Paia, maître de conférences à l'université de la Polynésie française (UPF).

Et même si cela ne plaît pas à tout le monde, les mots choisis ont été pris en fonction du contexte du dessin animé. "Nous avons utilisé toutes les stratégies en termes de traduction pour y arriver. Et parfois, comme cela est connu en traduction, si on n'a pas complètement rendu le sens, on se rattrape ailleurs, c'est comme ça. Et dans l'autre sens, il y a une vue homogène et hétérogène. Là, par exemple, les critiques viennent d'un mot ou du contexte en général, mais surtout un mot dans un contexte qu'ils ne connaissent pas", prévient Mirose Paia.

Et pas question de brader notre langue maternelle. "Quand on nous a demandé de faire cette version tahitienne, on s'est dit comment allons-nous procéder, parce qu'on sait que ce sont des enfants qui vont regarder ce film. Est-ce qu'on va utiliser un vocabulaire simple ou on utilise vraiment les termes de navigation, les termes dédiés à nos anciens héros, les personnages mythiques de notre culture", raconte Étienne Raapoto, journaliste en reo tahiti à la retraite.

OPTER POUR UN "BON TAHITIEN"

Au final, l'équipe décide d'opter pour un "bon tahitien". "Il fallait faire un choix, on n'allait pas parler petit pour faire plaisir à certains. Non, nous avons utilisé un bon vocabulaire. Certes, on retrouve des mots difficiles, mais on s'est dit que les maîtres allaient être là pour aider les enfants dans la compréhension du texte. Tout devait être réfléchi, que ce soit au niveau des termes ou des tournures des phrases pour que l'enseignant soit à même de transmettre ça aux enfants", poursuit-il.

Redonner envie aux jeunes de se réapproprier leur langue maternelle reste l'objectif premier de cette équipe, et utiliser un outil tel que Disney "est formidable pour nos enseignants et nos enfants", rajoute Thierry Delmas, de la direction générale de l'Éducation et des Enseignements.

Surtout que l'avenir de notre langue en dépend. "Nous avons entendu récemment Jacques Vernaudon dire que si on ne fait rien pour la sauvegarde de la langue tahitienne, dans une génération, c'est-à-dire dans moins de dix ans, la langue sera perdue", rappelle Étienne Raapoto.

LA LANGUE SE PERD

Aujourd'hui, le constat est le même pour Mirose Paia. "La langue se perd. Mais c'est surtout dans le foyer, il n'y a pas de transmission et c'est ce cadre-là qui m'inquiète. Je vais vous donner un exemple : à Taha'a, il y a 20 ans, nous avions encore eu l'espoir d'avoir des jeunes qui parlent bien le tahitien. Mais, ce n'est plus le cas", regrette-t-elle. "Donc, en 20 ans, il y a eu une déperdition totale de la langue. Je me dis aujourd'hui que par rapport à cet outil, il va venir motiver encore plus les jeunes ou les jeunes parents à pouvoir transmettre notre langue aux futures générations. Ce que nous voulons transmettre avec ce dessin animé, c'est de donner envie aux jeunes de s'intéresser à notre langue et qu'ils en profitent et qu'ils se rendent compte que c'est encore très riche et que c'est important pour nos enfants", conclut la maître en conférences à l'UPF.

Si la version tahitienne ne sera réservée qu'aux scolaires des premier et second degrés, 1 000 DVD seront offerts par Disney, 600 seront distribués dans toutes les circonscriptions et les 400 autres seront remis à différentes associations culturelles et artisanales du fenua.


Étienne Raapoto
Journaliste en reo tahiti à la retraite

"Notre travail va bénéficier à nos enfants"


Quelle est la différence entre une adaptation et une traduction ?
"La traduction, c'est ce qu'on recherche, c'est-à-dire la facilité. Dans notre métier de journaliste, on fait souvent de la traduction, mais quelquefois, on est amené à adapter. Mais c'est plus un travail de traduction. Là, en l'occurrence, pour ce film, ça a été beaucoup plus difficile parce qu'il y a des tournures de phrases qui correspondent à un esprit bien américain ou bien français, mais ça ne rend pas en tahitien. Donc, il faut trouver d'autres façons de dire ou d'expliquer les choses et c'est le travail que nous avons réalisé."

Cela veut dire que vous avez traduit l'idée ?
"Tout à fait. Et c'est surtout ça qui était le plus important pour nous. Il fallait que le film soit compris par l'ensemble des "ta'ata tahiti"."

Êtes-vous fier d'avoir participé à cette aventure ?
"C'est une grande fierté parce qu'on sait que notre travail va bénéficier à nos enfants. Les conditions dans lesquelles nous avons travaillé étaient peut-être dures, mais on est fiers de l'avoir réalisé dans notre langue."


Hinano Murphy
Présidente de Te Pu Atiti'a

"Si on veut porter notre langue, c'est à nous de le faire"


"Nous avons travaillé sur le volontariat. Et cela a vraiment changé Disney, parce que pour une grosse boîte qui a l'habitude de travailler sur le commercial, eh bien l'aspect non commercial et communautaire a primé sur l'argent. C'est important de souligner qu'un peuple peut travailler avec les moyens dont il dispose pour mettre en valeur sa propre culture. Notre environnement et notre manière de vivre nous permettent de pouvoir faire ça. Les artistes ont été avertis. Au départ, c'était un outil pour les enfants et pour notre culture. J'ai dit aux artistes que je ne voulais pas aller demander à Disney de l'argent pour pouvoir le faire, mais je veux leur montrer que nous pouvons le faire. Si on veut porter notre langue, c'est à nous de le faire. Donc, Disney a vu le travail et ils ont vu un résultat qui dépassait leurs attentes."


Projection gratuite à To'atā

Pour accéder à la projection gratuite du 29 avril, place To'atā, il faudra se munir de bracelets qui seront distribués à partir de 16 heures, sur place. "C'est un bracelet par personne, on ne pourra pas demander 20 ou 50 bracelets pour la famille. Il faudra venir sur place pour récupérer le bracelet et accéder à la place To'atā", expliquent les organisateurs.

Les portes seront ouvertes à partir de 17h30 et la cérémonie d'ouverture se fera à 18h45 pour une projection à 19h30.

Pour celles et ceux qui ne pourront pas entrer place To'atā, une diffusion simultanée sera mise en place dans les jardins de Paofai.


Rédigé par Corinne Tehetia le Mardi 18 Avril 2017 à 18:12 | Lu 5554 fois